Les métamorphosés

Les personnages

        Les personnages désignés ainsi sont ceux qui ont connus deux interprètes différents, donc deux visages différents. Dynasty a failli éviter l’aller-et-retour grotesque vu dans Dallas, lorsque Mrs Ewing, interprétée par Barbara Bel Geddes, prit ensuite le visage de Donna Reed... laquelle, finalement, fut à nouveau remplacée par Barbara Bel Geddes, suite aux protestations du public ! Malheureusement, le personnage de Steven a subi, quoique in extremis, ce regrettable avatar, comme on le verra plus loin.
        Les métamorphosés se confondent avec les quatre enfants Carrington, qui ont tous connu, au contraire de leurs parents, cette transformation si peu appréciée des téléspectateurs. Chaque fois, ce remplacement a fait perdre au personnage une grande part de son intérêt. En effet, les scénaristes ont été contraints de les affadir, soit parce que l’acteur remplaçant ne voulait ou ne pouvait jouer le rôle tel qu’il avait été conçu, soit au contraire parce que la production en profitait pour gommer certaines audaces jugées excessives par une partie du public. On pense en particulier au personnage de Steven, dont l’homosexualité a valu des pressions à la chaîne ABC.
        Fallon Carrington, au prénom curieux, est la fille aînée de Blake et d’Alexis. Elle apparaît dans 145 épisodes et dans La réunion. Elle s’absentera lorsque Dynasty sera doublé par une autre production parallèle, Les Colby : elle et son mari Jeff feront partie de la distribution, mais ce nouveau feuilleton, passablement extravagant, va tourner court après deux saisons, et tous deux reviendront à la production d’origine. Lorsque Dynasty commence, Fallon a vingt-quatre ans. Fascinée par le pouvoir, elle vénère son père, qui est son idole, et ne rêve que d’épouser un homme qui soit la réplique de celui-ci. C’est pourquoi on la voit jeter son dévolu sur Cecil Colby, le faux ami de Blake ; mais Cecil finira par épouser... sa mère Alexis, quelques minutes avant de mourir ! Alexis, qui hérite, en deviendra richissime séance tenante, ce qui va la rendre, pour le moins, l’égale financière de son ancien mari, et lui permettre de lui empoisonner la vie – son rêve à elle. Fallon devra se rabattre sur le neveu de Cecil, Jeffrey, un ami d’enfance, personnage qui semble au départ insignifiant, mais qui va se révéler le modèle des jeunes hommes convenables, droits et loyaux, gagnant ainsi la faveur du public. Ils vont se marier puis divorcer deux fois. Fallon est plus que délurée : au début, elle frise la nymphomanie, au grand désespoir de son père, qui ne peut même pas se consoler avec son fils Steven.
        Steven Daniel Carrington est en effet homosexuel. Il a vingt-trois ans, et c’est un fort beau garçon. Du point de vue humain, il est absolument parfait : intelligent, sensible, artiste, ouvert, gentil, cultivé, courageux, et très écolo... ce qui en fait l’ennemi tout désigné de son pollueur de père, de surcroît homophobe ! Ils ne cessent donc de s’affronter sur presque toute la durée du feuilleton, jusqu’à ce que Steven se convertisse aux vertus du pétrole pas cher (pour les Américains) et de la gestion à poigne d’un club de football, alors que son père, mettant de l’eau dans son vin, va jusqu’à recevoir à dîner Luke Fuller, l’unique amant, d’ailleurs très convenable lui aussi, que connaîtra son fils sur toutes ces années. Steven va devenir dès le premier jour l’ami de sa belle-mère Krystle. Lui et sa sœur Fallon s’aiment énormément. En revanche, il ne va jamais aimer son frère aîné, perdu puis retrouvé, Adam. Étant donné qu’Adam est aussi fraternel que Caïn, aussi avenant qu’une épidémie de peste bubonique, on le comprend... Steven, nous l’apprenons à l’épisode 9, a reçu ce prénom, plutôt que celui de son père, en souvenir de son grand-père maternel, que nous ne verrons jamais et dont nous ignorerons tout. Il est présent dans 183 épisodes, et quitte le feuilleton avant la fin, à l’épisode 197, pour revenir dans La réunion.
        Adam Carrington est l’aîné de la famille. À l’âge d’un an, il a été enlevé par une femme déséquilibrée qui venait de perdre son fils, sa belle-fille et son petit-fils dans un accident. Adam n’a jamais été retrouvé, et la ravisseuse lui a laissé croire qu’elle était sa grand-mère. Devenu adulte, exerçant comme avocat dans le Montana, plutôt salaud avec les faibles et avec les filles (il a même un viol sur la conscience), et conservant des séquelles de la drogue qu’il a prise dans sa prime jeunesse, Adam apprend sa véritable identité lorsque sa prétendue grand-mère, à l’article de la mort, lui avoue la vérité. Il va dès lors s’imposer comme ayant-droit chez les Carrington. Il sera l’homme de tous les coups fourrés, aimera sa mère Alexis mais détestera son père Blake, le trahissant plusieurs fois. Jamais Steven ni Fallon ne lui feront confiance, à juste titre : il va même tenter d’assassiner Jeff, le mari de sa sœur ! Sa conversion au Bien sera aussi tardive que peu vraisemblable, puisqu’elle n’aura lieu que pour les nécessités d’une conclusion optimiste, dans l’épisode final, La réunion. Auparavant, il avait paru dans 181 épisodes.
        Blake se croyait père de trois enfants, en comptant celui qui avait été enlevé. Il ignorait qu’au moment où il chassait Alexis du domicile conjugal, elle était enceinte de lui. C’est ainsi qu’un quatrième enfant, Amanda Carrington, surgit vers le milieu du feuilleton, au quatre-vingt-quinzième épisode. Elle va connaître une « destinée » assez agitée, puisqu’elle commencera par épouser le prince héritier du Royaume de Moldavie (pour baptiser cette principauté imaginaire, les scénaristes ont commis la bourde, typiquement américaine, de choisir le nom d’un État existant réellement, ce qu’ils ignoraient, de toute évidence !). Mais ce mariage se termine en massacre, causé par des révolutionnaires, massacre conçu par la production pour conclure en beauté la saison et, au passage, éliminer de la distribution les personnages qui ont fait leur temps, dont un homosexuel encombrant car trop parfait. Le prince et son épouse, épargnés, partent en exil aux États-Unis, mais le ménage va faire faillite, et la nouvelle divorcée tomber amoureuse de l’ex-chauffeur de son père, qui porte le même prénom que le prince déchu et qui fut l’amant de sa sœur aînée ! Puis les deux amants disparaîtront, et l’on n’entendra plus parler d’Amanda ni des deux Michael. Mieux, on ne mentionnera plus à l’avenir que les TROIS enfants Carrington, tout comme si cet héritière à éclipse n’avait jamais existé. C’est l’une des incohérences scénaristiques de Dynasty, qui heureusement en compte assez peu. Amanda n’est présente que dans 67 épisodes, et c’est le seul membre de la famille qu’on ne retrouve pas dans La réunion.


Leurs interprètes

        C’est Pamela Sue Martin qui joue le rôle de Fallon, entre les épisodes 1 et 90 (elle ne s’absente que pour l’épisode 89). Vive, énergique, dotée d’une grande personnalité, elle y excelle. Elle est âgée de 27 ans au début du feuilleton, ayant tourné six films au cinéma, le premier étant L’aventure du Poséidon, neuf ans plus tôt. Elle n’en fera plus que trois par la suite ! Et son dernier téléfilm remonte à 1990, si l’on excepte une ou deux « apparitions » et une émission spéciale sur Dynasty en 2001. C’est dire que son rôle ne lui aura guère valu d’avantages. Elle a cependant été scénariste et productrice associée d’un film, Torchlight, en 1984, où elle retrouvait le premier interprète de Steven Carrington, Al Corley.
        Pamela Sue Martin quitte le feuilleton de son propre chef, semble-t-il, après avoir tourné 89 épisodes. Pendant quelque temps, son personnage est censé avoir disparu dans une crise d’amnésie. Mais il était nécessaire de le ramener, car Fallon avait un mari et un enfant ! L’actrice qui prit la succession, Emma Samms, ne convenait guère à ce rôle, et ne possédait aucune ressemblance physique avec la première Fallon. On ne se donna même pas la peine de lui attribuer une coiffure et une couleur de cheveux identiques ! Beaucoup moins vive que Pamela Sue Martin, il fallut édulcorer son personnage pour l’adapter à l’interprète, et Fallon y perdit, notamment, sa nature volage. Elle fit sa « rentrée » dans l’épisode 115, après vingt-quatre épisodes d’absence, mais sa nouvelle éclipse en direction du feuilleton Les Colby fit qu’en fin de compte, Emma Samms ne joua que dans 56 épisodes, sans compter La réunion.
        Al Corley, né Alford Corley le 22 mai 1956 à Waynesville, dans le Missouri, interprète Steven jusqu’au trente-sixième épisode (il est absent dans l’épisode 18). Très beau garçon, il avait, pour payer ses études de comédie, travaillé comme portier au célèbre Club 54, qui a fait l’objet d’un film avec Ryan Phillippe. Il possède à la fois la douceur et l’énergie du Steven tel que le concevaient au départ les scénaristes. L’acteur, chose exceptionnelle dans la profession, avait aussi l’intelligence et l’intégrité qui lui ont permis de quitter le feuilleton de sa propre volonté lorsque les dérives du scénario ont gravement affecté son personnage en l’affadissant notablement.
        Al Corley a tenté alors, avec l’appui d’un producteur allemand, et avec un succès mitigé, de faire une carrière de chanteur : sa chanson Square rooms (1984) est classée numéro 1 en mars 1985 ; Cold dresses sera numéro 5, et Face to face aura encore du succès en 1986. Au total, trois 33-tours et quelques 45-tours. Et puis, alors que les producteurs de Dynasty l’avait remplacé par Jack Coleman pour le rôle de Steven, ils l’ont rappelé neuf ans plus tard pour le tournage de La réunion. Péripétie assez ridicule, il faut bien l’avouer.
        Avant d’être engagé pour Dynasty, Al Corley avait fait un peu de télévision, et un seul film au cinéma, Squeeze play, en 1980, sous son vrai nom d’Alford Corley. Il fera huit films après, sera aussi assistant-réalisateur pour un film allemand, et producteur pour cinq films, dont Drowning Mona (Mais qui a tué Mona ?), avec Danny DeVito.        
        Le personnage de Steven avait connu une éclipse de l’épisode 37 à l’épisode 44 – sans doute le temps de dénicher un acteur de remplacement. Jack Coleman, l’heureux élu, né le 21 février 1958 à Easton, en Pennsylvanie, n’avait aucune ressemblance avec Al Corley. Pas encore rodés à cette forme de cynisme qui permet de remplacer un interprète par n’importe qui sans aucun souci de la vraisemblance, les producteurs se sont efforcés de justifier ce changement d’aspect physique par un prétexte néanmoins « bateau » : un accident suivi d’une opération de chirurgie esthétique. Ils prendront moins de gants avec Fallon et Amanda ; pour Amanda, peu importe, le personnage n’avait aucun intérêt, mais Fallon était plus nuancée, plus intéressante.
        Après trois apparitions fugitives en vue d’habituer le public au nouvel interprète, Jack Coleman fait son entrée à l’épisode 45. Le personnage de Steven disparaît à l’épisode 197, laissant une lettre où il annonce son désir de vivre sa vie ailleurs et autrement. Cette lettre, son frère Adam la trouve et la détruit, par pure méchanceté, si bien que nul n’en aura connaissance.
        Jack Coleman n’avait pas fait de cinéma avant Dynasty, mais il avait tenu un rôle dans Days of our lives, la série télévisée, à l’âge de 7 ans. Après Dynasty, où il aura tenu 149 épisodes, il tourne quelques téléfilms, et sept films de cinéma, sans jamais atteindre une vraie notoriété. Comme dit plus haut, il ne revient pas dans La réunion.
        Adam Carrington, qui apparaît d’abord sous le nom de Michael Torrance, est interprété par Gordon Thomson, né le 3 mars 1945 à Ottawa, au Canada. C’est dans ce pays qu’il débute en 1969 ; il y tourne quatre films et trois séries télévisées avant la deuxième saison de Dynasty. Il continuera d’alterner cinéma et télévision, mais ne sera pas sélectionné pour reprendre son rôle d’Adam lors du tournage de La réunion : les producteurs engagent un autre acteur, Robin Sachs, né le 5 février 1951 à Londres, qui a surtout fait de la télévision, mais qu’on a vu ensuite, notamment, dans The lost world, de Steven Spielberg, et dans Ocean’s eleven, de Soderbergh.
        La publicité n’a pas manqué de ressasser que la première interprète d’Amanda Carrington était une aristocrate authentique, Catherine Oxenberg. Née le 22 septembre 1961 à New York, elle est en effet la fille de la princesse Elizabeth de Yougoslavie, qui avait été fiancée à Richard Burton, et sa grand-mère avait été régente de Yougoslavie. Après de bonnes études à Harvard, elle fait de la télévision, et tient le rôle de Diana Spencer, princesse de Galles, en 1982, avant d’être engagée pour Dynasty... où les scénaristes la marient avec le prince héritier d’un royaume d’Europe centrale ! Elle fera quinze films après Dynasty... et rejouera le rôle de Diana pour la télévision en 1992 !
        Catherine Oxenberg apparaît dans 54 épisodes, avant d’être remplacée, à l’épisode 149, par Karen Cellini, actrice beaucoup moins jolie, et qui ne tiendra que 13 épisodes. Née à Philadelphie le 13 mai 1958, date historique mais pour les Français seulement, celle-ci n’a rien fait d’autre, ni avant, ni après.